Le menuisier, sa femme et le marteau (suite) Ils vous diront que cela sert à meubler leurs loisirs. Pourtant, un film les aura souvent aidés à trouver un sens à leur travail ou à leurs amours. Un roman les aura rapprochés des autres ou aura comblé leur solitude. Ils auront surmonté un deuil ou une séparation en écoutant de la musique qui les plonge dans l'oubli ou qui ravive des souvenirs. Qui contribue à stigmatiser leur appartenance à un groupe. Consciemment ou non, ils se seront servis des oeuvres d'art comme d'autant d'outils capables de les définir, d'agir sur eux-mêmes et de transformer leur vie. Dans ce travail, à chacun son outil. Dans la fable, le marteau n'a jamais servi à clouer, ce qui était pourtant sa fonction première. Tous les personnages se sont servis de l'outil pour leurs propres fins, en le détournant de son usage principal. Moi-même y ai trouvé une huitième fonction en l'utilisant pour illustrer mon propos. Huit usages pour ce marteau que l'on croyait banal, voilà un outil intéressant. La plupart des gens n'utilisent d'ailleurs qu'un infime pourcentage des possibilités de ces machines et on peut penser que la performance personnelle moyenne des utilisateurs est inversément proportionnelle à la complexité de l'outil. Les oeuvres d'art n'ont pas une fonction unique, évidente et attendue. Comme dans la fable du marteau, l'usage qu'on en fait est complexe et multiple. Il varie selon les intentions des usagers. Conséquemment, la performance des utilisateurs est pour le moins extrêmement difficile à évaluer. Ainsi, me retrouvant devant les oeuvres de Michel-Ange, Monet et Boltansky, malgré le décalage séculaire des ouvrages, ma réaction sera celle d'un homme d'aujourd'hui. Je serai libre de penser et de réagir comme je l'entends, mais je serai conditionné par mon histoire et ma culture personnelles, celles de l'époque et de la société auxquelles j'appartiens ou plus bêtement par mon humeur ou l'état de ma digestion. Bien sûr, les créateurs, les inventeurs de ces oeuvres ont consciemment donné un sens, une direction à leur travail ; ils ont posé une problématique, établi une démarche. Mais leur oeuvre est aussi parsemée de jalons, d'indices cachés provenant de ce que certains psychanalistes ont appelé le balayage inconscient de l'univers. On comprend maintenant l'engouement pour la musique de Bach de la génération qui a inventé l'ordinateur, outil dédié à l'ordonnance et au traitement systématique des données. L'époque aura reconnu rétrospectivement dans les fugues de ce champion un modèle d'ordre et de structure. L'oeuvre du compositeur devient alors le miroir d'un monde que lui-même n'aura pas connu. Dieu sait, par ailleurs, ce que le père Rodin penserait de ce qu'on fait maintenant de son Penseur sur CD-ROM ou de ses dessins érotiques... |
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