22 juillet 2018

L'artiste, la liberté et l'appropriation

bande

J’ai été musicien professionnel de 16 à 40 ans. De la fanfare de la Marine Royale du Canada au Cirque du Soleil en passant par le jazz, la musique de danse et l’animation de rue ici et en Europe. J’ai exposé mes œuvres ici et à l’étranger dans plus de 70 expositions et j’ai enseigné à l’École des arts visuels de l’Université Laval pendant 30 ans. J’écris depuis plus de 20 ans : 1 recueil d’essais, 6 romans et 12 nouvelles ont été publiés à ce jour. C’est dire que ma vision des choses et mon rapport à la vie sont teintés par cette évidence : j’ai été et je suis un artiste. Je ne m’en excuse pas.

J’estime que j’ai le droit comme tout le monde de m’émouvoir des exploits, des joies, des douleurs, des soucis et des malversations de mes concitoyens, qu’ils soient hommes, femmes, blancs, noirs, croyants, athés, gais, trans ou ce qu’ils pourront ou voudront être. Amour, plaisir, bonheur, misère, violence, folie : le fond de commerce de l’artiste. C’est le mien depuis plus de soixante ans. C’est ma manière d'être : j’ai eu et j’ai besoin de m’exprimer, je n’y peux rien, c’est ainsi.

Je suis libre. C’est bien de ça qu’il s’agit. Je m’arroge le droit d’agir, car l’art est une pratique, le droit de transformer ce qui est ou de m’exprimer par des paroles, des écrits et des actes sans entraves. Cette pulsion intérieure ne m’a évidemment jamais été imposée, je ne l’ai pas sollicitée, et je souscris à la pensée d’Emmanuel Kant : « On ne devrait appeler art que le produit de l’exercice de la liberté. »

La création est une aventure, ce pas, comme le dit avec justesse Jocelyn Robert, que l’on fait en dehors de la culture. C’est un travail périlleux d’exploration, et je me retrouve bien souvent seul à mon bureau, porte fermée, comme le peintre dans son atelier et le compositeur à son piano. Je n’ai alors ni besoin ni désir d’assistance, de collaboration ou de partenariat d’aucune sorte. Surtout pas de permission.

Si je prends à mon compte les émotions de mes contemporains, si je détourne leur joies et leurs souffrances au profit de celles de mes personnages, si je m’approprie leur culture, c’est dans le but de me rapprocher d’eux, dans l’espoir d’une communion, à la manière de Victor Hugo : « Quand je dis je, écrivait-il, c’est aussi de vous que je parle. » Le vieux lion avait bien raison.

Cette prise de possession est historique et nécessaire. C’est elle qui permet la transmission des acquis. Quelques exemples : Auguste Rodin s’est approprié le contraposto de Michel-Ange, lui-même l'ayant appris des sculpteurs grecs qui l’avaient inventé mille ans avant lui. Pour notre plus grand plaisir Bob Walsh et Gerry Boulet ne se sont jamais demandé s’ils avaient l’autorisation des Noirs pour chanter du blues.

Si, dans le même sens, les Québécois blancs faisaient leurs les revendications des autochtones, un grand pas serait fait dans une meilleure direction, celle qui nous éloigne du danger de devenir étranger à soi-même et à autrui. Jamais l’expression mets-toi à ma place ne prendrait autant son sens.

Voilà ce que je pense et je ne suis pas désolé.

 

Richard Ste-Marie
juillet 2018