4 mars 2005

Le roi, le juge, le génie et le fou
Ce texte a servi de préparation à ma collaboration à l'émission Méchant contraste
Télé-Québec / mardi 15 mars / 19h30

bande

On l’aura remarqué, les «gens ordinaires», c’est à dire la plupart d’entre-nous, ont souvent tendance à associer génie et folie. En fait, ce qui nous intéresse dans ce rapprochement, c’est la démesure que l’on retrouve dans les deux cas. Tout ce qui dépasse la norme avec les manifestations les plus évidentes: attitude anticonformiste, marginale, excentrique, voire délinquante. Même perception folklorique des hommes de science: dans l’esprit populaire, il n’y a pas plus savant que le savant fou. Mais si c’est le prix qu’il faut payer pour être génial, les plus circonspects se réconforteront, ou se consoleront, en constatant qu’ils demeurent à l’intérieur des limites de la norme (en fait, la norme, c’est eux). Cette même pensée réconfortante leur fera dire que «les gens riches sont sûrement malheureux», piètre consolation pour les pauvres.

Il faut reconnaître qu’il y a un fond de vérité dans cette parenté entre l’artiste de génie et le fou. Les deux procèdent d’un même sentiment d’insatisfaction devant la réalité. D’une impression de manque. L’artiste dira: «le monde est brisé, je vais le réparer, l’améliorer, le compléter». Le fou dira: le monde est dangereux, incompréhensible ou hostile» et il se réfugiera dans un monde fabriqué de toutes pièces. L’artiste, comme Cézanne, insatisfait du spectacle de la montagne Sainte-Victoire, en peindra par dizaines sur des toiles. Le sculpteur fabriquera en marbre ou en bronze de belles femmes, plus belles que les plus belles jamais vues (c’est tout juste s’il ne sera pas tenté de leur souffler dans les narines pour leur donner vie). Il espérera fabriquer l’œuvre d’art ultime, l’œuvre parfaite après laquelle tout travail de création sera devenu inutile. Comme Paul Klee, il arrivera sans doute à créer six ou sept mille œuvres avant de concéder que cette œuvre parfaite n’existe pas. Mais, loin du fou sombrant devant l’imperfection du monde qu’il s’est créé, l’artiste supportera la faiblesse de sa créature car son sentiment de manque était en fait une hypothèse de travail tandis que celui du fou était un malaise, un état pathologique. L’art est le produit de l’exercice de la liberté, dit Immanuel Kant, ce ne sera jamais une réponse à une maladie.

Un bel exemple de démarche artistique qui pourrait être confondue avec la folie: le métier d’acteur. Il n’y aurait pas plus schizophrénique que de monter sur une scène et d’inviter les gens à venir nous admirer en train de se faire passer pour un autre si d’avance tout le monde n’avait pas convenu qu’on faisait semblant. Mais le problème de la société actuelle est qu’elle est devenue un théâtre vivant. La commission Gomery nous en donne un bel exemple dans une excellente représentation de fausse télé-réalité, tragi-comédie où tous les personnages ont le même texte interchangeable qui se résume à: «je n’ai rien dit, je n’ai rien entendu, je n’ai rien vu, je n’ai rien fait, je n’ai rien su.». À un moment de la pièce, le roi lui-même vient jouer le rôle du fou du roi en s’amusant avec ses petites balles. On nage en plein théâtre de l’absurde.

Sortie côté jardin.

À nous, les spectateurs interloqués, de comprendre à la fin du spectacle que le but de la pièce était de découvrir le rôle que chaque acteur jouait: le sien propre.

Comme le disait Louis-Ferdinand Céline : «Le monde n’est, je vous assure, qu’une immense entreprise à se foutre du monde.»

© Richard Ste-Marie / 4 mars 2005


John Gomery (PC photo)

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«Le monde n'est, je vous assure,
qu'une immense entreprise
à se foutre du monde»
Louis-Ferdinand Céline