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Code d'éthique de l'estampe originale
Code of Ethics For Original Printmaking
Nicole Malenfant et Richard Ste-Marie
Conseil québécois de l'estampe, 2000
Bilingue, 184 pages, 16 illustrations en couleurs
ISBN 2-922018-05-9
l'introduction du Code d'éthique de l'estampe originale
(participation de Richard Ste-Marie)

English version

Écrite en collaboration avec Nicole Malenfant pour le Conseil québécois de l'estampe, la nouvelle version du Code déthique de l'estampe originale a été lancée en juin 2000.

La main et l'outil
Tant que l'aspect technique de l'estampe a été défini par les procédés manuels auquels les artistes avaient recours pour intervenir eux-mêmes sur une matrice, le problème de l'authenticité des oeuvres ne s'est pas posé. Il suffisait, en quelque sorte, d'identifier la main qui avait inscrit les signes. Mais quand les techniques de l'estampe ont évolué, grâce aux développements des procédés de reproduction, la délimitation du champ technique de l'estampe est devenue plus problématique. Où s'arrêtait le travail « exécuté de la main de l'artiste » ? Où commençait le travail « mécanique », voire « industriel », de l'opération ?
Il aurait été facile de décider que seul le travail manuel était digne de s'élever au rang d'oeuvre d'art, en oubliant que l'estampe est précisément née de l'invention de l'imprimerie et qu'elle s'est approprié, à travers le temps, les innovations techniques développées par le commerce et l'industrie.
La question a été posée à chaque fois que de nouveaux procédés de reproduction sont apparus : ces procédés permettent-ils la création d'oeuvres d'art authentiques ? Si oui, en ce qui nous concerne, les oeuvres produites appartiennent-elles au domaine de l'estampe ? Sous quelles dénominations doit-on les identifier ?

De nouvelles pratiques
Dans une perspective de mise à jour de son Code d'éthique de l'estampe originale, le Conseil québécois de l'estampe poursuit, depuis plusieurs années, une réflexion sur la pratique de ses membres, un questionnement qui amène quelques constatations qu'il serait intéressant de résumer ainsi :
À l'évidence, il semble que les artistes contemporains portent leur engouement sur les développements des technologies de l'imagerie et de l'imprimerie au fur et à mesure de leur apparition. Conscients d'appartenir à la tradition de l'estampe, ils accueillent l'arrivée de ces nouvelles technologies en continuité avec les anciens modes de production dont ils cherchent ainsi à garantir la survivance. Ils explorent de nouveaux médias du point de vue esthétique, convaincus que dire une chose d'une nouvelle manière amène souvent à dire autre chose, les nouveaux outils permettant de poser un regard neuf sur les particularités de la réalité contemporaine. Tout comme leurs prédécesseurs, ces artistes tentent de développer leurs nouveaux instruments en les adaptant à une pratique poétique personnelle, les détournant pour ainsi dire de leur vocation commerciale et industrielle.
De cette façon, et à leur manière, les artistes qui utilisent ces nouvelles technologies contribuent au renouvellement des deux piliers de la tradition de l'estampe : l'élargissement du champ de la pratique et le développement du métier.

De nouveaux champs de pratique
Sur la base de cette argumentation, la réflexion sur les nouvelles technologies a amené le Conseil québécois de l'estampe à proposer à ses membres, dès 1996, l'introduction de trois nouvelles pratiques artistiques dans la discipline de l'estampe. Ce sont la copigraphie, l'offset d'art et l'estampe numérique. Acceptée par une très large majorité des membres du Conseil, cette proposition s'est avérée d'autant plus importante et justifiée que le milieu artistique avait déjà intégré ces pratiques dans une mise à jour de la définition de l'estampe originale. Le 25 octobre 1991, en effet, lors de la Biennale de Venise, une commission internationale reconnaissait l'intégration de procédés techniques tels que le report photographique, le clichage, la gravure photochimique, la photocopie et le travail à l'aide de l'ordinateur pour répondre aux besoins créatifs des artistes.
Copigraphie, offset d'art et estampe numérique répondent, de façon naturellement différente mais analogue, aux critères spécifiques de l'estampe qui sont nommément : le travail sur une matrice, la création d'une image en exploitant les caractéristiques propres à la technique d'exécution, le report de cette image matricielle sur un support et sa reproductibilité. Copigraphie, offset d'art et estampe numérique partagent également avec l'estampe traditionnelle le paradoxe du singulier/multiple.

La matrice
L'existence d'une matrice dans chacune de ces pratiques n'est plus à démontrer. On connaît en effet l'oeuvre de David Hockney qui a travaillé directement sur des plaques métalliques offset avant de les transférer sur la presse en vue du tirage. Quelques membres du Conseil québécois de l'estampe ont utilisé la même approche technique lors des 2e et 3e symposiums internationaux d'offset d'art de Vila Praïa de Ancora, au Portugal, en 1991, et à Trois-Rivières, en 1993.
La matrice électrostatique des estampes copigraphiques agit quant à elle sur un tambour à l'intérieur du photocopieur. C'est cette image matricielle résultant de l'action de l'artiste sur le verre qui sera finalement reportée sur le support. À cause du phénomène électrostatique, cette matrice a comme particularité de n'exister que le temps de l'impression. Elle est immédiate et momentanée, et ne peut être conservée pour usage ultérieur. C'est sans doute dans la logique du procédé même qu'on retrouvera une des raisons qui porte les copigraphistes vers l'impression d'épreuves uniques.
L'estampe numérique, pour sa part, crée, traite et conserve les images sous forme de plan dans la mémoire de l'ordinateur. Ce plan établit la répartition de chacun des éléments constitutifs de l'image dans une matrice que l'on appelle « bitmap ». Toute modification visible à l'écran comme à l'impression sera la conséquence d'une transformation de cette matrice qui présente, elle aussi, une caractéristique particulière. Contrairement aux matrices des autres procédés de l'estampe qui ne permettent l'impression d'une image que dans sa dimension originelle, les matrices informatiques rendent possible l'édition d'une même image dans des formats et des rendus qui varient selon les moyens utilisés pour réaliser l'impression. Car la dimension même de la matrice constitue une des variables de même que le choix déterminant de l'imprimante.

Les caractéristiques propres à la technique
Tout comme les procédés traditionnels, les nouvelles pratiques utilisent des machines et des procédés techniques qui leur sont propres et reconnaissables. Les artistes s'efforcent justement de maîtriser et de maximiser les effets distinctifs inhérents à chacun des procédés dans le but de créer une oeuvre originale. L'originalité se situe dorénavant tant au plan de l'intervention de l'artiste dans le processus de fabrication qu'au plan de la finalité de l'oeuvre.

Le report de l'image sur un support et la reproductibilité
Cela va de soi, l'introduction des nouvelles technologies dans la famille de l'estampe ne se conçoit que dans la mesure où ces procédés partagent des supports similaires à celle-ci. Les nouvelles technologies en estampe permettent la production de multiples et sont évidemment assujetties aux mêmes critères d'originalité et de permanence que les techniques traditionnelles.

Le paradoxe du singulier/multiple
À cause de la reproductibilité, cette retombée inhérente au travail en estampe, toutes les techniques de l'estampe partagent ce « péché originel » qui, selon Michel Melot, veut qu'en matière d'objets d'art, ce qui est multiple peut être unique. En estampe, il n'existe d'original que lorsqu'il existe une copie. Cette copie, on parlera plutôt d'exemplaire ou d'épreuve, n'est pas la reproduction d'un original déjà existant, mais le report d'une image matricielle unique et singulière sur un support. L'oeuvre proprement dite ne commence à exister que lorsque le premier exemplaire est tiré ; suivent, ou non, des oeuvres jumelles dûment identifiées comme telles.
De par leurs caractéristiques propres, les nouvelles techniques partagent visiblement ce paradoxe originel avec les pratiques traditionnelles : elles devraient conséquemment utiliser le même système d'identification des épreuves.

Conclusion
À leur création, tous les procédés de l'imprimerie ont été des nouvelles technologies. L'expression est récente et sans doute un peu abusive, car il ne fut jamais question de les nommer ainsi à l'époque de leur apparition. C'est bien sûr dans une perspective actuelle que l'on peut employer cette formule pour parler des inventions qui ont apporté une révolution dans la communication du savoir. Le développement de l'imprimé est incessant et rapide ; nous assistons de plus en plus à l'apparition de nouvelles formes d'imprimés ou de nouvelles façons d'imprimer. À titre d'exemple, il est tout à fait possible aujourd'hui de faire le tirage d'une estampe numérique simultanément sur plusieurs imprimantes situées à travers le monde en acheminant l'information nécessaire de la matrice vers ces imprimantes via le modem, la fibre optique et le relais satellite. C'est une des réalités nouvelles de l'estampe contemporaine. C'est également une des joies que la vie moderne apporte aux créateurs et qui s'ajoute au plaisir de l'odeur de l'encre.
L'évolution de nos comportements artistiques nous oblige à une constante remise en question des procédés que nous utilisons. Il faut veiller à ce que l'éthique de notre profession d'estampier progresse également, à la suite de la transformation de notre pratique. L'éthique, en ce sens, demeure un exercice nécessaire et perpétuel.

Richard Ste-Marie
Septembre 1999