11 juin 2019

Avis de grève générale de l'art

bande

Afin de faire prendre conscience de la présence de l'art dans la vie de tous les jours de nos concitoyens, je propose une grève de l'art, générale et illimitée.
Je sais que mon projet est utopique, car il ne tient pas compte des réalités que représentent dans l'ordre ou le désordre: le besoin, sinon l'urgence de création de l'artiste (autant demander à quelqu'un d'arrêter de respirer); les intérêts financiers impliqués dans les médias (on paye des droits, et pis quoi encore?!); ou le marché de l'art (ça va assez mal comme ça merci!)

Grève de l'image

Grève des galeries, fermeture des musées, pour des raisons évidentes. Fermeture des sections de livres comportant des images dans toutes les bibliothèques. Plus d'images dans les journaux ou dans les revues. D'ailleurs, allons-y carrément, plus de mise en page dans ces médias, juste des textes sans caractères gras, sans soulignement, sans importance donnée aux titres ou aux sous-titres. Tout en Helvetica 12 points avec alignement à gauche. Plus d'images au téléjournal, ni reportages vidéo, ni infographie derrière le chef d'antenne. Juste des paroles, prononcées recto tono. Le travail de lecteur de nouvelles, tout journaliste qu'il soit, est aussi un travail d'artiste. Pas de téléromans, pas de cinéma. Autant en raison des images qu'ils comportent que le travail des scénaristes, des acteurs, des metteurs en scène, des monteurs, des décorateurs, des peintres, des éclairagistes, des sonorisateurs, des compositeurs et des musiciens, des experts en effets spéciaux et des maquilleurs.
Les monuments publics seront recouverts de housses jusqu'à nouvel ordre. Les œuvres architecturales d'importance patrimoniale seront aussi recouvertes par Christo, à condition que celui-ci n'intervienne qu'à titre bénévole (ou, je sais, là il y aura un problème) et qu'il ne considère pas cet emballage comme une œuvre d'art.

Grève de la musique

Pas de musique à la radio ni à la télévision; ni comme pièces musicales ni comme bande sonore de messages publicitaires. Aucun concert, bien entendu. Pas de musique à l'église, ni dans les centres commerciaux ni dans les salles d'attente des dentistes et autres spécialistes de la santé, ni dans les ascenceurs (ce qui est un moindre mal.) Pas de spectacles de musiciens de rue ou de metro. Les musiciens ne répéteront pas, de peur d'être entendus par leurs voisins.

Grève de la littérature

Fermeture des bibliothèques, des librairies, des centrres de documentation, à part pour les sections techniques ne comportant pas d'illustrations (et encore...) Les cours de littérature seront tolérés à condition de ne citer aucun auteur. Les écrivains pourront écrire, pourvu que nul ne regarde par-dessus leurs épaules.

Grève de l'art dramatique

Pas de théâtre, pas de téléromans, pas de cinéma, pas de comédie musicale. Les spectacles de cirque seront également suspendus. Les mimes, qui en principe ne parlent pas, ne devront pas bouger d'un poil.

Grève de ce que vous voulez

Chacun peut faire l'exercice d'imaginer la grève en imaginant d'autres secteurs artistiques que j'aurai oubliés.
Je ne sais pas si une telle grève réveillerait le public et aurait pour conséquence de redonner aux artistes la reconnaissance qui leur est due et la maîtrise de leur marché. Je n'ose pas imaginer ce que seraient trois ou quatre semaines sans téléromans, par exemple, mais j'aime supposer que ce serait l'émeute à court terme dans nos salons.

 

Richard Ste-Marie

Extrait de: Les petites misères
Éditions mémoire vive, avril 2004