7 avril 2008

La langue de bois me scie

bande


Foncer vers ma femme, masses en l’air, en vociférant: «Je vais te tuer» (restez calme ce n’est qu’un exemple) aura le même effet que de fondre sur mon chien, armé d’un bâton, en hurlant: «Dans mes bras, fidèle ami de l’homme!». Car on ne peut mentir à son chien. Comprenant à peine les mots que je prononce, il ne sera pas trompé par eux. Par contre, le ton de ma voix, mes gestes et mes mimiques ne lui auront pas échappés. «On peut mentir avec la bouche mais les grimaces qui accompagnent n’en disent pas moins la vérité» écrivait le grand Nietzche.

Mais, pourquoi faire simple (ma femme vient du Lac-Saint-Jean) quand on peut tout compliquer: si, au contraire, je m’approche câlinement de mon épouse en lui murmurant: «Je prémédite d’anticiper la saison de ton souffle définitif», au moins aurai-je le temps de l’attraper avant qu’elle ne saisisse toute la gravité de mon dessein épousicide et qu’elle ne déguerpisse suivie de mon chien absolument terrifié. À cet égard, je vous concède que mon exemple n’est pas tout à fait au point car j’ai bel et bien un but, celui d’annoncer mon intention inavouable à la principale intéressée de sorte qu’elle ne puisse pas invoquer que je ne l’avais pas prévenue. Or, l’usage de la langue de bois veut que rien ne soit clairement énoncé. Les diplomates, les politiciens et autres xyloglottes l’ont bien compris en cultivant grâce à elle l’art de confondre leurs concitoyens. Ne jamais rien dire afin de ne pas être contredit, voila le secret. La langue de bois est un outil stratégique de non-communication.

Si cette langue de bois a fini par infester ma vie privée, domestique et conjugale, c’est sans doute qu’elle avait d’abord commencé par empoisonner ma vie professionnelle; à preuve: je n’ai jamais su si je devais rire ou pleurer, le jour où je suis tombé par hasard sur une page web dont je vous cite ici un extrait en vous invitant à faire un petit test.

Lisez d’abord ceci:
«La sculpture de Didier Marcel n’est pas “hors du monde”; contestant l’illusion d’une sphère éthérée de l’autonomie esthétique, elle échappe également à la pesanteur d’une réflexion convenue sur le “socle”. Prenant acte du fait que l’art ne préexiste pas à sa médiation, la sculpture de Didier Marcel inclut ses propres dispositifs de présentation, et en vient ainsi naturellement à croiser des préoccupations d’ordre architectonique.»

Tournez-vous maintenant vers la personne la plus proche de vous, en prenant pour acquis que cette personne est d’une intelligence et d’une culture moyennes, et expliquez-lui ce que l’auteur a voulu dire précisément. Pour conforter votre interlocuteur, ne prenez aucune chance et ajoutez que Didier Marcel a l’intention de réinvestir sa praxis et de déconstruire assertoriquement son support, en transgressant ceci cela tout en pervertissant le reste. Bonne chance.

Même avec l’aide du Petit Larousse, ma femme (heureusement que je ne l’ai pas assassinée) et moi, nous avons abandonné après vingt minutes de recherche. La «sphère éthérée de l’autonomie esthétique» nous a paru particulièrement absconse.

«Lorsqu’on voit le bec du coq, on voit le coq tout entier» dit un proverbe zaïrois; ainsi, les paroles vides sortant de la bouche des artistes ne réussiront qu’à mettre en évidence la navrante vacuité de leur œuvre.

Richard Ste-Marie

7 avril 2008